Giuseppe PENONE
Giuseppe PENONE
et l'Arbre des voyelles
1- L’artiste, la démarche, genèse de l’oeuvre :
Penone naît en 1947 à Garessio, région montagneuse du Piémont (Italie). Fils et petit-fils d’agriculteur, le contact avec la terre et la nature baigne ainsi son enfance.
Il est associé à l’Arte Povera. En 2000, son Arbre des voyelles est installé dans le parc de sculptures du jardin des Tuileries. Une rétrospective lui est consacrée au Centre Georges Pompidou en 2004. En 2007, il a représenté l’Italie, dans le pavillon italien à la Biennale de Venise… En 2009, il installe, à l’occasion de la restauration de la cour vitrée de Palais des études de l’École nationale supérieure des beaux-arts, une œuvre monumentale, Matrice de sève. Aujourd’hui l’artiste vit et travaille à Turin tout en enseignant à l’École Nationale des beaux-Arts de Paris. Une rétrospective lui sera consacrée au musée de Toyota au Japon à partir de juillet 2009.
En 1969 il écrit : « … Je suis entré dans la forêt du bois et j’ai commencé un parcours dans le temps, lent, pensif, étonné… ».
- Les premières œuvres
La même année il expose à la galerie Sperone à Turin une série de photographies qui sont les traces d’actions menées dans une forêt l’année précédente.
PENONE, Alpes Maritimes.
L’arbre se souviendra du contact, 1968. Arbre, fil de zinc. Vue prise pendant la réalisation de l’oeuvre. Photo Claudio Basso
PENONE, dessin
PENONE, Alpes Maritimes, 1968. Il poursuivra sa croissance sauf en ce point.
Arbre, moulage en bronze de la main de l’artiste.
L’arbre se souviendra du contact, 1968. Arbre, fil de zinc. Vue prise pendant la réalisation de l’oeuvre. Photo Claudio Basso
PENONE, dessin
PENONE, Alpes Maritimes, 1968. Il poursuivra sa croissance sauf en ce point.
Arbre, moulage en bronze de la main de l’artiste.
L’arbre se souviendra du contact, Il poursuivra sa croissance sauf en ce point, En poussant il soulèvera le grillage, etc. sont des œuvres qui préfigurent tout ce qui se développera par la suite : le rapport à ce qui nous entoure, la pensée sur le monde, la nature, le temps… Le dialogue avec les arbres ne cessera jamais de se poursuivre.
L’une des dimensions principales de l’œuvre consisterait en la destruction des multiples écrans qui existent entre l’homme et le monde. Penone nous propose comme une avancée à mains nues dans un « monde-atelier » du fait de son abandon de la posture traditionnelle de l’homme occidental (telle qu’elle est dessinée par Léonard de Vinci par exemple) pour désirer être à égalité avec les éléments de la nature, avec les choses dont on pense habituellement qu’elles sont inanimées. Comme pour retrouver un contact intime avec ces choses et se considérer comme un corps écoutant.
Se coucher dans le lit d’un ruisseau, imprimer la forme de son corps sur un lit de feuilles, calquer les dessins de sa propre peau, sont autant d’actes artistiques qui témoignent de cette approche.
Dans Renverser ses propres yeux, Penone tente l’expérience de l’aveuglement, pour sentir sa propre enveloppe, sa présence au monde (hors la vue) un peu comme… un arbre ! Dans cet autoportrait on pourrait dire qu’il nie l’ego pour chercher à se mettre à l’unisson avec les forces de la nature, et explorer d’autres sens comme le toucher et l’odorat…
Renverser ses propres yeux, 1970,
épreuve argentique.
épreuve argentique.
« Je crois que Penone a cessé depuis longtemps de considérer l’artiste comme un élément central – tout comme l’individu d’ailleurs – pour le mettre par contre autrement en jeu, avec les choses, dans sa capacité à n’être que l’énergie qui se meut dans certains cas, le bois, la feuille, le fusain, la pensée ». Federico Nicolao
Daniela Lancioni écrit à propos de l’artiste : « Penone cherche une identité retrouvée dans une société qui préférait l’apparence à l’être …». En recouvrant ses yeux de lentilles-miroirs, l’artiste pourrait bien vouloir marquer sa méfiance et son retrait par rapport aux visions trompeuses organisées par la société de spectacle. Société de plus en plus décriée par la jeunesse de l’époque (Guy Debord,La société de spectacle, 1967).
- Le contexte artistique et social dans les années 1968-1970, l’Arte Povera
Le terme est né sous la plume du critique Germano Celant pour désigner l’exposition dont il fut l’instigateur : « Arte Povera e in spazio » à Gênes en 1967.
Il n’existe pas de manifeste mais deux écrits dont l’important « Notes pour une Guérilla » dans lequel le terme de « pauvreté » est mis en avant. Emprunté au théâtre de Grotowski, d’Artaud, à la pensée de Jung, à la philosophie orientale, il marque une volonté de dépouillement volontaire des acquis de la culture pour atteindre une vérité originaire du corps et de ses perceptions (à la même époque Warhol tourne « Sleep »).
C’est un art qui se veut de rupture et qui correspond à l’idéologie des années 60 (cf. Jean Dubuffet : « Asphyxiante culture »). « Nous refusions l’idée de nation. On voulait un dialogue entre les cultures, que la signification des formes rendait possible… Il y avait un intérêt pour une culture avant l’histoire… ». La démarche se voulait instinctive : « … il n’est pas nécessaire de lire tout Levi-Strauss pour comprendre qu’il y a un rapport entre la magie et les objets, entre la magie et les arbres » écrit Penone.
On pourrait définir l’Arte Povera comme la branche italienne d’un mouvement international qui s’incarne ailleurs : Antiform, Process Art, Land Art, Minimal Art, Conceptual Art, etc.
La plupart des artistes ont eu recours à des matériaux naturels comme la terre, les végétaux, les minéraux et adoptent une approche « primitiviste » des formes et des gestes créateurs.
granit, fil de cuivre et laitue fraîche.
ZORIO, Sans titre, 1967
- Le rapport au temps et les métamorphoses:
Pierre naturelle et pierre taillée. 40 X 80 x 50 cm env.
Être fleuve est une œuvre clef. Une pierre tirée d’un fleuve est présentée avec son double sculpté à l’identique par l’artiste. Ce qui compte, ce n’est pas forcément la ressemblance mimétique, mais l’identification au travail du temps. On pourrait dire que Penone sculpte le temps en renouant avec les forces du fleuve érodant la pierre. On remarquera par ailleurs que l’artiste abolit le socle et remplace la conception verticale et hiérarchisée du monde par une vision horizontale en expansion (comme « ramifiée », L’arbre des voyelles en sera un exemple probant). La tradition solide et verticale de la sculpture fait place à une « sculpture fluide ».
Le Bernin, "Apollon et Daphné", d'après "Les métamorphoses" d'Ovide, marbre, vue d'ensemble, 1622-25, villa Farnese, Rome
Le temps du fleuve, le temps de la pierre, le temps des arbres et des hommes. Tous les êtres sont pliés ensemble dans le cours du temps. Une égalité se crée…
Le Bernin, "Apollon et Daphné", d'après "Les métamorphoses" d'Ovide, marbre,
détail, 1622-25, villa Farnese, Rome
détail, 1622-25, villa Farnese, Rome
Autre série de sculptures fluides : les « Anatomies ». Dans Anatomie 6 une petite rigole ruisselle sans fin entre les veines de la sculpture en marbre. L’eau et la pierre devenue « fluide » dialoguent. L’artiste suit et révèle les veines du marbre qui paraît à certains endroits à peine dégrossi, comme s’il sortait de la carrière. On retrouve cette conception d’une sculpture qui surgit informée par la leçon de la pierre- même chez Michel-Ange (la série des Esclaves) et plus tard chez Rodin…
Ce qui semble inanimé est en fait travaillé par le temps. L’eau coule. N’en est-il pas de même pour le monde végétal (avec une lenteur vigoureuse) et pour le monde minéral (est-il réellement au « repos » ?). L’œuvre de Penone pourrait être comparé à un espace silencieux qui s’éveille et qui révèle ces matières dont aucune n’échappe à la loi souple des métamorphoses.
Dans le Cèdre de Versailles (2000-2003) Penone travaille l’arbre abattu par une tempête. Comme dans ses premières œuvres, il « décortique » l’arbre en suivant l’un des cernes de croissance jusqu’à retrouver l’aspect qu’avait celui-ci à une époque antérieure à celle où il a été abattu.
Ainsi pouvait-il partir de tout objet manufacturé, en bois (poutre par exemple), et retrouver l’arbre d’origine à un âge déterminé. Comme pour remonter le temps et renvoyer à un état primitif de la matière.
La partie jeune de l’arbre n’est jamais intégralement creusée et reste partiellement attachée à la poutre comme pour une confrontation entre nature et culture.
Cliquer sur le lien suivant :http://www.ina.fr/art-et-culture/musees-et-expositions/video/NAC86070409/expostion-giuseppe-penone-au-musee-des-beaux-arts-de-nantes.fr.html
- Le rapport au toucher, l’empreinte ou « l’émotivité des surfaces »
Pourtant Penone étend le champ de la sculpture en direction des sens matériels. Son œuvre sollicite parfois l’odorat comme dans Respirer l’ombre, 1999 et Matrice de sève, 2009 (installée l’an dernier à l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris).
Dès les premières œuvres ce contact avec les éléments naturels prend une place prépondérante. La surface, la peau des choses devient comme une page d’écriture. Palper, toucher, c’est s’imprégner de ce qu’on touche et le marquer. La peau constitue l’inframince, cette limite entre le dedans et le dehors… Dans Anatomie 2 de 1993, le moulage en plâtre d’une partie de dos d’une main est encastré dans la surface du marbre.
En 1970, avec Dérouler sa propre peau, il opère un relevé de son corps et du monde qui l’environne. « Dérouler sa propre peau sur l’air, l’eau, la terre, la roche, les murs.. »
Dans L’empreinte du dessin de 2002-2003, l’empreinte des dix doigts de l’artiste génère un dessin qui de dilate dans l’espace. Penone continue au crayon le tracé des lignes obtenues à partir de l’empreinte laissée au centre d’une feuille de papier.
PENONE, Propagation, 1994-96.
Crayon feutre sur papier et sur mur, métal, eau, dessin au crayon-feutre sur papier, plexiglass. Deux éléments: mur de la galerie, bassin: 86 x 83 x 62 cm. Collection particulière. Vue prise à la Galerie Paul Andriesse, Amsterdam.
Crayon feutre sur papier et sur mur, métal, eau, dessin au crayon-feutre sur papier, plexiglass. Deux éléments: mur de la galerie, bassin: 86 x 83 x 62 cm. Collection particulière. Vue prise à la Galerie Paul Andriesse, Amsterdam.
Lorsque nous touchons les choses nous agissons sur le monde, nous modifions la chose touchée. L’œuvre de Penone, la mécanique quantique et la philosophie bouddhiste se croisent…
Dans « Jardin des sculptures fluides », 2003-2007 (voir plus bas le documentaire vidéo) , Penone anime l’eau des bassins du jardin grâce à un système de « soufflerie » ; il y dessine des empreintes de doigt hors échelle…
Regarder c’est aussi toucher du regard. L’empreinte d’un doigt se développe dans l’espace selon les lois de l’optique, matérialisée par un moulage en bronze divisé en trois sections. Forme de cône soutenue par des branches à hauteur de l’œil humain.
PENONE, "Ombre de terre",
vue d'ensemble et détails, 2000-2003.
Penone dessinant
Fusain sur fibres non tissées, plâtre. 350 x 1500 cm env. Collection De Pont Foundation for Contemporary Arts, Tilburg, Hollande.
Dans Peau de graphite, 2004, Penone reporte un fragment d’empreinte de sa propre peau. Le changement d’échelle nous amène à parcourir ce fragment comme s’il s’agissait d’un paysage.
Fusain sur fibres non tissées, plâtre. 350 x 1500 cm env. Collection De Pont Foundation for Contemporary Arts, Tilburg, Hollande.
L’étendue du palpable et du visible peuvent se mêler.. Travailler sur le toucher c’est encore abolir la distance inhérente au regard et établir une communion avec la chose touchée. Comme un bain de contacts avec les choses…
L’empreinte est au cœur du processus créatif de l’artiste. Les souffles, 1978, sont des sculptures de terre cuite dans lesquelles Penone reproduit le volume de la respiration en modelant l’empreinte de son corps sur un grand vase d’argile. À l’embouchure du vase, il a laissé un indice de son geste, le moulage de ses lèvres entrouvertes dans l’action de souffler. La sculpture semble s’animer comme les plis d’une sculpture « baroque »…Entre le sujet et le monde il existe un rapport de réciprocité.
détail, marbre, 1645-1652, Rome, Santa Maria della Vittoria.
Dans Nature de feuilles, 1990, il travaille à partir d’une boite crânienne à l’intérieur de laquelle la matière molle du cerveau a marqué sa surface.
En saupoudrant de poudre de carbone l’intérieur de la boite crânienne, il relève grâce à des bandes adhésives l structure, les traces laissées par la compression du cerveau, les veines, etc. et reconstruit à plat l’empreinte relevée en la collant sur une plaque de verre… Les deux images fusionnent et dialoguent. Jeux de correspondances, mutations, glissements… L’homme rejoint le végétal et vice-versa…
« La volonté d’un rapport d’égalité entre moi-même et les choses est à l’origine de mon travail ».
2 - Son œuvre / Tentative de classification : les principales séries
En 2004 rétrospective au Centre Georges Pompidou, commissaire d’exposition Catherine Grenier.
Les œuvres sont abordées par grands ensembles correspondant aux différentes séries sur lesquelles il a travaillé depuis 1970.
Les Arbres
Série qu'il commence en 1969 avec L'arbre de 4 mètres, dans laquelle il enlève les cernes de croissance de l'arbre jusqu'à retrouver son coeur, organe chargé de restituer la perception de l'arbre originel.
Cet ensemble est présenté dans un ordonnancement particulier, nommé Répéter la forêt (Ripetere il Bosco), et qui reconfigure une forêt dans l'espace du Musée.
Les Empreintes
Elles donnent lieu à des travaux de nature variée dont le plus spectaculaire est le dessin de La Paupière (Palpebra,1977) géante, qui se développe sur plus de dix mètres de large.
Les Moulages
Ceux notamment de parties du corps sur lesquels sont projetées des photographies de ces fragments (Torace, Piede, 1972) ou bien moulages de pommes de terre (Patate, 1977) et de courges (Zucche, 1978-79) qu'il a fait pousser en leur donnant la forme de parties de son corps.
Les Souffles
Thématique abordée en premier lieu dans une série de photographies de nuages de poussière qui évoque un souffle animé, puis dans un ensemble de vases de terre à échelle humaine (Soffii, 1978), restituant métaphoriquement l'amplitude du souffle de l'artiste.
Etre fleuve (Essere fiume, 1981)
Travail qui constitue l'un des gestes les plus radicaux de l'oeuvre de l'artiste. Penone duplique à l'identique le travail de la nature sur une pierre, et s'identifie ainsi au fleuve.
Les Ongles (Unghie, 1987-94)
Ces oeuvres de verre thermoformé réalisées au Cirva (Centre international de recherches sur le verre et les arts plastiques), replacent l'homme dans la perspective de la Genèse et intègrent la lumière comme matériau de l'oeuvre.
Les Anatomies (Anatomie, 1994-97)
Marbres dont il dégage les veines, prêtant aux blocs massifs l'animation d'un épiderme humain.
Les Arbres de cristal
Ils allient la thématique de l'arbre et celle de la lumière : L'arbre des vertèbres (L'Albero delle vertebre, 1996) et Propagation (Propagazione, 1995).
La salle tapissée de feuilles de laurier, Respirer l'ombre (Respirare l'ombra, 2000), forme une sorte de crypte naturelle, chambre sensible dans laquelle l'odorat intervient pour la première fois.
Les Peaux de feuilles (Pelle di foglie, 2000)
Travaux de bronze qui associent le travail du moulage et la référence au végétal dans des oeuvres d'inspiration mythologique, sur le thème de la métamorphose.
Penone, "Peaux de feuilles", bronze. Villa Médicis, Rome, 2008
Les gigantesques empreintes érectiles faites d'épines d'acacias Dépouille d'or sur épines d'acacia (Spoglia d'oro su spine d'acacia, 2001-2002), dernière série de travaux qu'il montre pour la première fois dans un grand dispositif intégrant les travaux sur le marbre, sur la propagation des empreintes et sur la "peau d'or".
Penone, "Dépouille d'or sur épines d'acacia", détail et vue d'ensemble.
Les recherches en cours qui sont représentées par deux oeuvres : Ombre de terre (Ombra di terra, 2000-2003), oeuvre de bronze et terre poursuivant sa réflexion sur la propagation de la vision, et Pelle di cedro (Peau de cèdre, 2002-2003) en cuir, nouvelle inflexion des recherches sur le mimétisme qu'il mène depuis quelques années avec le bronze et dont témoigne L'arbre des Voyelles, oeuvre monumentale de bronze installée au Jardin des Tuileries.
Cèdre de Versailles (Cedro di Versailles), l'oeuvre présentée dans le Forum, a été réalisée par l'artiste durant ces deux dernières années, à partir du fût d'un arbre gigantesque.
Ce cèdre de 5 tonnes, provenant de la forêt de Versailles, a été déraciné par la tempête et acheté par Penone.
Il a adapté pour la première fois à un arbre monumental le traitement de dévoilement qui caractérise son approche de l'élément végétal. Ouvrant une large "porte"dans l'arbre, il en dénude le coeur et nous restitue la vision de l'arbre vivant et fragile au sein de la masse inerte.
Les non italianistes couperont le son...
L'arbre des voyelles…
A coté des sculptures mythologiques classiques et des oeuvres de Maillol, le jardin de sculpture des Tuileries comprend, depuis 1998, de nombreuses oeuvres contemporaines.
Le bronze est une commande du Ministère de la Culture et de la Communication. Il a été réalisé avec la participation de Pascal Cribier, architecte paysagiste.
« Dans un rectangle de verdure gît l'arbre pétrifié de Guiseppe PENONE, comme arraché par un vent puissant, déraciné, privé de l'humus nourricier. L'arbre des voyelles est un moulage en bronze d'un chêne de quatorze mètres de long et au contraire de son modèle déjà retourné à la terre, il ne pourrira pas.
"Si j'ai utilisé le bronze, c'est parce qu'il est une fossilisation idéale du végétal. Le bronze a ses racines dans une culture qui est l'animisme et je ne peux penser qu'elle ait utilisé des techniques qui n'étaient pas en liaison avec la brutalité de la nature. Enfin c'est un matériau qui, si on le laisse à l'extérieur, à toutes les intempéries, prend une oxydation dont l'aspect est très similaire à celui de la feuille ou du fût des arbres."
Giuseppe PENONE.
« La sculpture nous renvoie ainsi à la terrible tempête de 1999, la tempête du siècle, qui a dévasté la forêt française. »
Clément COTTET
3 - L'arbre des Voyelles de Penone, une oeuvre monumentale de bronze installée au Jardin des Tuileries.
Un texte de Philippe Sabourdin sur l'oeuvre de Penone, L'arbre des voyelles
A coté des sculptures mythologiques classiques et des oeuvres de Maillol, le jardin de sculpture des Tuileries comprend, depuis 1998, de nombreuses oeuvres contemporaines.
« Moulage d'un chêne de 30 mètres déraciné, cette œuvre de bronze dont le titre peut évoquer un poème de Rimbaud est emblématique de la démarche de Giuseppe Penone. Démarche qui met l'inerte en consonance avec le vivant et donne matière sculpturale au temps. Ici, les cinq branches de l'arbre couché témoignent d'un passé. De ce passé fixé par une empreinte renaissent cinq vivants arbustes, cinq « voyelles », A-E-I-O-U, qui sculptent lentement le présent au rythme des saisons. »
L'arbre
L'arbre des Tuileries est en bronze. Il résulte d'un moulage…L'Arbre qui revient de manière récurrente dans l'œuvre est lui aussi affaire de sculpture et de modelage. Il y revient non seulement comme figure emblématique de la nature, motif ou objet de sculpture, mais encore - et de façon plus singulière - comme matière ductile disposée au moulage et au modelage. Afin de situer l'Arbre des voyelles dans un contexte élargi aux démarches qui traversent l'œuvre entier, il sera rappelé que ces moulages, ces modelages ont pu se limiter à celui d'un arbre ou d'un arbuste comme ils ont pu participer d'une hybridation du végétal avec d'autres corps vivants ou leur réplique de métal fondu. Ainsi, les premières œuvres dans la forêt de Garessio reposent sur l'idée que l'arbre est un fluide plastique, un médium se prêtant au pétrissage au même titre que la glaise. Cependant, si la terre est immédiatement réactive à la pression des doigts, il faudrait des années pour que l'arbre y réagisse sensiblement. Une œuvre bien connue des débuts, pallie en toute logique ce déficit en déléguant la durée de l'étreinte à un moulage de bronze. Moulage de la main de l'artiste qui empoigne le tronc d'un jeune arbre et perpétue durant sa croissance le souvenir tangible de ce corps à corps. Sculpter à contretemps
Nous retiendrons au moins deux choses de ce geste inaugural : la première c'est que l'artiste fait usage du moulage pour obtenir un double, une réplique en bronze qui, telle une photographie, se saisit des états de l'instant où le temps fait surface. Instant auquel le bronze donne permanence, pérennisant l'effet de l'étreinte momentanée dans la durée. Les élèves seront invités à réfléchir aux conséquences paradoxales de ce geste artistique qui revient à sculpter l'action du temps à contretemps : à donner forme sculpturale à un instant qui résiste au cours du temps.
Cliquer sur le lien suivant :
http://www.dailymotion.com/video/x9boif_arbre-des-voyelles-guiseppe-penone_creation
"L'arbre des voyelles"
filmé en hiver.
filmé en hiver.
Toucher le réel
La seconde qui s'en déduit, se rapporte à la posture « réaliste » de Penone qui, en recourant au moulage, privilégie le contact, la relation existentielle avec la matière, l'œuvre résultant de la double contigüité physique qu'elle manifeste.
Ainsi, pour Il poursuivra sa croissance sauf en ce point, celle du moulage métallique avec la main moulée et celle de l'arbre avec le moulage de la main. De même, pour L'arbre des voyelles, celle du moulage de bronze avec le chêne déraciné et celle des cinq arbres d'essences différentes avec ce même moulage.
En passant par le jardin
Au plan des évocations, avant même que le mystère de son seul titre et les résonances poétiques qu'il convoque nous invitent à l'interprétation, la rencontre avec L'arbre des voyelles est source de questionnements. Le réalisme équivoque du moulage n'en est pas la moindre cause.
Ainsi le passant, découvrant inopinément l'arbre déraciné, peut-il n'y voir de prime abord qu'un signe de l'incurie de jardiniers nonchalants, le laissant gésir là où la tempête de 1999 l'a couché. Mais la curiosité le poussant, il prend rapidement conscience qu'il se trouve devant autre chose qu'un arbre, quelque chose qui se rapporte à l'arbre mais qui n'est pas tout à fait l'arbre. Les étranges marcottages ou greffes d'essences différentes qui s'élèvent de ses branches lui confirment cette impression et il a tôt fait de vérifier que l'arbre n'est pas de bois. Il est d'une matière plus pérenne qui le rapproche des grands fossiles et lui assigne une dimension mémorielle, bucolique et grave…
La mémoire durable de l'arbre
L'œuvre est parallèle à la Seine … ce parallélisme n'est peut-être pas fortuit. En effet, le Fleuve et ses affluents, l'Arbre et ses branches, ont une structure arborescente similaire bien que leurs directions et leur dynamique s'opposent (verticalité/horizontalité, courant ascendant/courant descendant). Mais encore, l'arbre des Tuileries est passé par un état liquide. Le métal en fusion a coulé au creux du moule avant de se solidifier dans une imitation parfaite et durable de son modèle couché. De cet état liquide le simulacre de bronze conserve la dynamique : il se présente comme une source de vie. Horizontal, il se poursuit verticalement, contredit sa forme, recule son achèvement, revient au vivant, renaît. Sortie du moule, la mémoire de l'arbre mort affleure à la surface du bronze. A l'extrémité de ses cinq bras entés dans les troncs, les cinq arbustes lui donnent résonance. L'arbre des voyelles n'est pas imitation inerte, il est cause de forme. Formation lente et continue où se sécrète la génération, où se commémore le cycle de la vie.
Voyelles, les cinq arbustes s'énoncent au présent dans le testament que leur croissance sculpte. Monstre hybride du naturé et du naturant dont les chapiteaux romans ou les jardins de la Renaissance nous ont appris la fréquentation, la sculpture croissante et métamorphique des Tuileries nous convie aux réminiscences.
Nature et culture
…L'œuvre de Penone, dès ses prémisses, se situe en rupture avec la tradition moderniste, tradition qui tourne le dos à cette même nature. Dans les années soixante, les artistes qui occupaient le terrain de l'avant-garde étaient pour la plupart les héritiers des dadaïstes, succédant à une vague d'abstraction, héritière quant à elle du surréalisme et de l'expressionnisme. Même si le naturalisme n'avait pas été absent de la seconde école de Paris, la référence au modèle naturel n'était pas depuis la plus partagée.
La matière contient l'idée
Loin de cette mouvance urbaine, la démarche de Penone est apparemment plus « archaïque » ou plus « primitive ». Pourtant, bien que tournée vers la nature, c'est culturellement que son utopie réinvestit les territoires de frontières qui sépare la beauté naturelle du simulacre, le pays du paysage, le géométrique de l'organique, l'inerte du vivant, la mort de la vie.
Procès d'idéation, sa sculpture est avant tout mise en évidence du principe. En cela elle ne contredit pas une esthétique classique qui donne primauté à la nécessité de la forme. De la tradition sculpturale Penone retient une posture qui le conduit à honorer la matière en exhumant la forme qu'elle seule est susceptible de contenir ou de générer. Mais sa quête est toute matérialiste. A l'ascèse des classiques qui situent l'idée au-delà d'un monde sensible que l'art aurait mission de transcender, il substitue celle d'un artiste à la recherche d'un principe immanent, sans arrière-monde. Un « toujours déjà là » jusque là imperceptible dont il s'agit de rendre tangible la découverte. Ainsi la poutre équarrie nous révèle-t-elle en son principe, la mémoire enfouie de l'arborescence, l'âme de l'arbre, de cet arbre là que le temps compté de l'industrie a recouvert d'une gangue d'oubli : la forme utile de la poutre. Il n'est pas insignifiant que l'arbre, matière vivante et toujours unique mais se prêtant à la confection d'objets industriels et commerciaux identiques vienne s'imposer à un artiste qui tente de surmonter l'inconsistance du présent en lui donnant couleur d'éternité. Ambition somme toute « moderne » au sens baudelairien qui lui fera souhaiter que l'éphémère s'éternisât.
Modernité et vanité
La modernité baudelairienne, c'est d'abord, on le sait, le sens du présent. C'est jouir de la mode, du mouvement, de la trépidation du multiple, de ses convulsions et de ses métamorphoses. Mais c‘est aussi être condamné au transitoire, être emporté par le mouvement dévorant du progrès, être contaminé par la circonstance, par le germe de la décadence. C'est encore opposer au fil de l'histoire un temps poétique, une échappée, le fulgurant instant où l'inconnu d'une beauté immuable s'offre à la vélocité des sens. Cette modernité a donc un ressort opportuniste : si elle se tourne vers le plus fugitif du monde présent, vers ce qui passe, c'est pour y saisir la sublime et intemporelle présentification de l'instant, l'essence du présent, ce réel dont la mort est l'événement absolu. Il s'ensuit que le plaisir esthétique du moderne repose sur une conscience mélancolique de la perte. « Tirer l'éternel du transitoire » c'est à la fois désespérer de la nouveauté et extraire de ce désespoir avisé la permanence d'une délectation nouvelle. L'arbre des voyelles instruit sensiblement sa relation au spectateur sur cette oscillation entre un sentiment mélancolique face à l'inexorable flèche du temps et un émerveillement devant l'épanchement des choses en devenir. Ainsi, à côté de la source de vie d'où jaillissent les voyelles il y a dans la figure de l'arbre couché comme une rémanence de celle des transis, ces sculptures funéraires de corps allongés mis en demeure d'éternité.
A, E, I, O, U
Pour terminer ces jalons, nous reviendrons sur le titre de la sculpture qui, comme nous l'avons dit, intrigue et se prête aux interprétations. Il est sans doute plus à entendre qu'à comprendre mais les quelques précisions qui suivent pourront peut-être faciliter cet entendement.
Tout d'abord, s'il est difficile de ne pas en référer au poème de Rimbaud, Voyelles , il convient de rappeler que Penone, pour sa part, ne revendique aucunement la parenté. Cela dit, la sculpture joue sur des correspondances sensibles, subjectives et poétiques, des « synesthésies » qui ne perdraient rien à lui faire écho. Ce que l'artiste présente en revanche dans ses déclarations comme une source d'inspiration c'est l'hypothétique alphabet des Druides, alphabet qui, selon certains spécialistes du monde celtique, aurait intégré des noms d'arbres. Prudemment, Penone ajoute que c'est une suggestion et en aucun cas la clef du titre, le laissant libre de se mettre diversement en consonance avec la scène visuelle et tactile de la sculpture. Ainsi les élèves pourront-ils prendre la liberté de voir dans l'arbre couché l'horizon d'une écriture, racine d'une parole qui sans voyelle ne pourrait s'élever en voix : que seules les voyelles portent au sens et qui par elles, touche les sens.
1- Paul-Louis Rinuy, Traces, empreintes, moulages dans la sculpture du vingtième siècle. Scéren/CNDP, Baccalauréat Arts plastiques
2- Giuseppe Penone, Il poursuivra sa croissance sauf en ce point, 1968
3- Il s'agit de la série des œuvres qui à partir des années 70, ont pour titre Arbre de 10 mètres, Arbre de 12 mètres, etc. qui ont fait l'objet des installations Répéter la forêt ou encore de L'Arbre-Porte de 1995.
4 - Les ancêtres :
Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silence traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! -
A. Rimbaud ,1883
5 - Lexique fragmentaires et fragmenté : extraits de textes
Giuseppe Penone, fragments :
La forêt
« Je sens la respiration de la forêt, j’entends la croissance lente et inexorable du bois, je modèle ma respiration sur la respiration du végétal, je perçois l’écoulement de l’arbre autour de ma main posée sur son tronc...
La main s’enfonce dans le tronc de l’arbre qui, par la vitesse de sa croissance et la plasticité de la matière, devient l’élément fluide idéal pour être modelé »
Giuseppe Penone, 1968
« … Les forêts, les allées, les bois, les jardins, les vergers avec leurs arbres contenus dans les portes, dans les tables, dans le sol, dans les planches, dans les poutres, dans les bateaux, dans les chariots… »
Giuseppe Penone, 1969
« … Je remonte la mémoire de la forêt, une partie de la vraie mémoire de la forêt.
L’exercice de la mémoire, le déplacement aveugle de la main sur l’écorce de l’arbre, la plasticité de la forêt dans sa formation.
La plasticité de la terre qui reçoit l’empreinte du passé, absorbe la pression du pied comme l’arbre qui, en grandissant, absorbe l’empreinte de l’année de croissance de sa branche cassée. C’est ainsi que l’arbre se souvient de lui-même, il est la mémoire de lui-même.
Retrouver dans la terre les empreintes de pas effacés par la superposition des pas suivants. Creuser dans la mémoire de la boue, faire de la sculpture… »
Giuseppe PENONE, 1978
La pierre
« Extraire une pierre sculptée par la rivière, remonter la rivière à contre-courant, découvrir de quel endroit de la montagne vient la pierre, extraire un nouveau bloc de pierre de la montagne, reproduire exactement la pierre extraite de la rivière dans le nouveau bloc de pierre, c’est être rivière ; faire une pierre en pierre, c’est la sculpture parfaite, elle redevient nature, elle est patrimoine cosmique, création pure, la dimension naturelle de la bonne sculpture lui donne une valeur cosmique.
C’est être rivière la vraie sculpture de pierre. »
Giuseppe Penone, 1980
Le moulage du bronze
« Le moulage du bronze est un art antique qui plonge ses racines dans la conception animiste de la réalité. La similitude du bronze avec le végétal est surprenante et a certainement eu une grande importance dans l’élaboration de la technique de fusion… Le bronze est le matériau idéal pour fossiliser le végétal. Dans le bronze, le végétal conserve ses apparences et, si on le met à l’air libre, il réagit au climat en s’oxydant avec les mêmes couleurs que les végétaux qui l’entourent. Sa patine est la synthèse du paysage… »
Giuseppe PENONE, 1980
« … Nous admirons le paysage de la patine du bronze qui n’est ni rouille ni couleur mais qui suinte du métal avec la même fraîcheur naturelle que les verts, les gris, les rouges des mousses et des feuillages de la forêt ; voilà la patine du bronze ! Le bronze, avec une grande facilité, traduit, fossilise le végétal, le geste de sa croissance et les couleurs de ses humeurs, il subit les éléments de l’air, la pluie, le vent, la chaleur du soleil, le froid, la gelée, dont, comme pour les végétaux, sa couleur est faite. L’air dense et compact en perpétuelle tension, mordant et subtil, pénètre dans le bronze, le corrompt, le comprime, le fait fleurir, et la splendeur brillante du paysage apparaît, la verte synthèse du paysage. »
Giuseppe PENONE, 1980
La trace
« … La trace de l’homme dans la nature est la bienvenue ; on l’accueille avec sérénité, elle nous rassure ; la trace de l’homme en ville, c’est autre chose. On l’évite, on la regarde avec circonspection, elle nous répugne, on l’efface en permanence. C’est en cela que consiste la plus grande part de l’activité de la ville. On est dégoûté à la seule idée d’une empreinte, c’est sale, on ne peut pas l’accepter, il faut l’enlever à tout prix, l’effacer, pour faire de la place à la nouvelle saleté, à la sédimentation, au témoignage du vécu qui, à son tour, sera enlevé. On efface la mémoire de l’homme-matière. Mais on exalte la forme et la matière qui attestent l’homme comme pensée, de préférence avec des matériaux aseptisés…
Giuseppe Penone, 1983
La coulée
« … l’expansion, la lente coulée de la matière, qui glisse, rampe, crée la vibration, le bruissement, le crépitement de la croissance. »
Giuseppe PENONE, 1984
La boue
« … Je me souviens de la mémoire de la boue, de la lente ascension des vapeurs de la terre, de l’écoulement de l’eau dans le sous-sol, de la poussée verticale de la matière, conscience du vide où on entend résonner la masse de chair humaine qui coule, se déplace et devient volume imprécis, vapeur, pour le promeneur qui traverse, dans le temps, l’histoire de la stratification par sédimentation.»
Giuseppe PENONE, 1987
6 - Giuseppe Penone et autres … Quelques mots et idées en résonance :
CORPS
« L’eau qui parcourt le sous-sol, qui connaît les secrets du sous-sol. Le bruit mystérieux de l’eau qui, en tombant dans un puits, fait un mouvement circulaire. Le cylindre d’air qui pénètre dans la terre. Les cinq sources des doigts qui confluent vers la paume de la main pour ensuite couler ensemble dans le bras. La verticalité de l’eau exprimée par les plantes. Les fourches des arbres qui nous semblent si intimement humaines. Les fourches des doigts de la main, par leur mouvement dans l’espace, forment les rameaux, les racines et, avec la succession de gestes aux mêmes endroits, construisent les branches et le tronc du végétal. Le paysage de la forêt est le geste de la sculpture. »
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »- 1986 (p. 133)
CROISSANCE
« … Les petits bruits continus, obstinés et secs de l’expansion, la lente coulée de la matière, qui glisse, rampe, crée la vibration, le bruissement, le crépitement de la croissance. »
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »- 1984 (p. 135)
EMPREINTE
" Toucher, comprendre une forme, un objet, c'est comme le couvrir d'empreintes (…) On peut "poser son regard" mais c'est seulement après avoir posé ses mains qu'on pose son regard et le regard perçoit, déchiffre la forme, et la voit avec les empreintes des mains…"
Giuseppe Penone "Respirer l'ombre"-1969 ( p. 51)
" L'image animale, l'empreinte, est culture involontaire. Elle a l'intelligence de la matière, une intelligence universelle, une intelligence de la chair, de la matière homme. L'empreinte de tout l'épiderme de son propre corps, un saut en l'air, un plongeon dans l'eau, le corps couvert de terre."
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »- 1970 ( p. 60 )
" Tout se passe en surface, tout le processus vital se trouve à la surface. Coller au sol avec les pieds et la tête au vent, dans le ciel. Ombre et lumière. Superficiels sont la mue, la scorie, le déchet qui fournissent l'humus nécessaire à la vie. (…)
…la trace de l'homme en ville, c'est autre chose. On l'évite, on la regarde avec circonspection, elle nous répugne, on l'efface en permanence. C'est en cela que consiste la plus grande part de l'activité de la ville. On est dégoûté à la seule idée d'une empreinte, c'est sale, on ne peut pas l'accepter, il faut l'enlever à tout prix, l'effacer, pour faire de la place à la nouvelle saleté, à la sédimentation, au témoignage du vécu qui, à son tour, sera enlevé. On efface la mémoire de l'homme-matière. Mais on exalte la forme, la matière qui atteste l'homme comme pensée, de référence avec des matériaux aseptisés. La possibilité d'expression est acceptée dans cet espace restreint…"
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »- 1983 ( p.67)
…" Un doigt qui touche une surface laisse une image qui correspond aux points de contact de la peau avec la surface. Cette opération est le résultat d'un contact et transmet une pression claire et précise qui produit une image. Ce qui crée la sensation de pression, c'est la déformation mécanique du tissu de la peau par rapport à la surface soumise à la pression. (…)
Visuellement, ces images sont une carte des points de pression et correspondent à l'exploration, faite point par point et de façon systématique, d'une zone échantillon de peau (empreinte). Quand on agrandit une "empreinte" par un processus photographique, on obtient une image claire de l'intensité pression de la surface de la peau. Cette exécution représente, pour la personne qui effectue l'opération, d'autres types de pression et de sensibilité cutanée. En effet, pour la zone de peau du doigt qui, au contact avec le fusain, est sollicitée, la sensation de pression redouble…(…)
Il existe en outre un rapport entre l'opération initiale ( l'empreinte ) et l'opération finale ( la transcription de l'image photographique de l'empreinte). En effet , de même que "l'empreinte" est une image directement proportionnelle à la pression exercée par la totalité de la superficie de peau concernée, la transcription de l'agrandissement de l'empreinte est une image directement proportionnelle à la pression exercée par la personne pour construire les moindres détails de l'image photographique."
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »-1973 ( p. 73)
« Prométhée, fils de Japet et de Clymène, créa les hommes avec du limon et de l’eau alors qu’Athéna leur insuffla la vie.
La main qui modela l’homme a laissé sur celui-ci les empreintes que l’eau et l’air remplissent au fur et à mesure de nos mouvements. L’air en effet qui remplit les empreintes reproduit la peau du créateur : la peau de celui qui touche l’homme a tendance à prendre, à cet endroit, la forme de celle du créateur.
Avec le négatif de sa peau imprimée, on peut faire une infinité de positifs, autant que les futurs contacts avec la surface »
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »- 1973 ( p. 93)
Jardin des sculptures fluides. Détails de "Dessin d'eau" à partir de 6 : 21
Les non italianistes couperont le son.
« J’imprime ma main sur l’argile. Je détache mon bras de l’arbre auquel il adhère. Je sens la poussée de l’eau qui jaillit contre le bout de mes doigts. Je me souviens de la mémoire de la boue, de la lente ascension des vapeurs de la terre, de l’écoulement de l’eau du vide où on entend résonner la masse de chair humaine qui coule, se déplace et traverse, dans le temps, l’histoire de la stratification par sédimentation. »
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »- 1987 ( p. 134)
« L’ensemble des empreintes d’une vie ou d’un grand nombre de personnes a un intérêt comme mémoire, témoignage d’un vécu individuel ou collectif. Telle est la valeur des marches d’un escalier usées par les pas du fleuve des personnes qui l’ont emprunté. »
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »- 1972 ( p. 145)
IDENTITE
" Il arrive un moment où on se débarrasse des conventions et des connaissances acquises pour redéfinir son identité, son espace de pensée et retrouver l'authenticité que l'apprentissage nous a fait oublier.
L'identité est un espace, l'espace de son corps qui devient seulement ensuite l'espace de ses idées, l'espace où la personne se projette. La première identité est celle du corps, c'est l'identité cellulaire, une identité de chair."
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »- 1973 ( p. 53 )
MAIN
…" L'histoire de l'homme tient sur la paume de la main, dans la feuille de vigne imprimée sur la paume de la main…"
Giuseppe Penone "Respirer l'ombre", 1975( p. 6 )
(…)
…" Avoir les mains blanchies d'être restées dans l'eau pour faire, au moins une fois, partie du ruisseau. "
Giuseppe Penone "Respirer l'ombre" - 1969 ( p. 24 )
OMBRE
« Eteins-toi, éteins-toi, courte bougie.
La vie n’est qu’une ombre qui marche. »
Shakespeare « Macbeth »
« Respirer l’ombre, son ombre ; l’ombre de son corps s’étend à l’intérieur, dans ses propres entrailles.
Respirer l’ombre, c’est comme toucher un corps qui a la même température que le nôtre.
Respirer, manger son ombre, relier l’ombre que l’on a dans la bouche et l’ombre qui tombe sur les yeux, réunir l’ombre que l’on avale et l’ombre projetée dans l’espace, qui atteint les autres ombres de l’univers trouées d’étoiles.
Respirer son ombre, c’est une feuille, couverte de cire, c’est introduire l’obscurité dans la nuit rythmique du corps comme le bronze fluide. »
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »- 1998 ( p.176)
PEAU
« … L’âme glisse au long du bâti, à la surface de la tour, et peut-être aussi de la connaissance. Une douceur s’offre de l’extérieur, comme la peau nue à l’eau de la mer, douceur assez forte pour résister aux circonstances ou les aller chercher hardiment à la fortune du monde, mais force assez fine pour en saisir les appels discrets, douceur dure et sensitive, équilibre délicat, en porte à faux quelquefois, entre le délectable et le déchirant ; nous n’apprenons rien vraiment que ce qui marque cette cire molle, chaude, assez froide pour que la trace perdure, adaptative
jusqu’à la mort non comprise ; pour écrire, je lis sur ma peau d’écorché plutôt que de copier les parchemins de la bibliothèque, fais confiance désormais à cette mémoire plus qu’aux banques de données, un auteur répond de soi. J’écris sur ma peau et non sur celles d’autres qui répondraient pour moi, comme Bonnard a peint sur la sienne et l’expose sans honte. Je déchiffre mes rides, gravures du temps, écrites au style ; l’âme hante ce cuir recouvert d’inscriptions.
Il me semble que le cerveau concentre localement ce lieu de connaissance. Le je frémit le long de l’échine, je pense partout.
Si chacun exposait, comme les peintres, ses dépouilles, ses mues, imitait l’écrivain et l’exhibition de ses parchemins, scarifiés, à chacun son labarum, son linceul ou son suaire, nous verrions un beau spectacle. Rides, cicatrices, panneaux racornis, oeils-de-perdrix ou psoriasis, travail, douleur, mémoire, perversions secrètes tatouent la peau et la façonnent plus encore que la couleur native, le métissage raffiné ou l’exposition au soleil des plages , où nul n’est nu, habillé de son bronzage, mince voile en attente des cancers. Haillons marqués , troués, alourdis de reliefs, affichés à la cimaise, aveux lamentables ou stigmates du travail, sommes-nous vraiment autres que ces chiffons-là ? Que sommes-nous de plus que ces fantômes ?… »
Michel SERRES , « Les 5 sens » , 1985
( page 77 ; chap . « Voiles »)
( page 77 ; chap . « Voiles »)
« … La sensibilité exquise – normale – aime les messages denses mais préfère les rares, se nourrit puissamment à la quantité, mais se délecte aux lieux où elle se retire et laisse seulement des traces : la qualité, le doux commencement, presque le signe. Ainsi traînent sur la peau des titres ténus de visible et d’audible, des clairs-obscurs et des chuchotements ; demeurent sur elle l’invisible du visible, les inaudibles de la musiques, la sourde caresse du vent léger, les imperceptibles, comme restes ou marques des hautes énergies dures. Le doux du sensuel hante la peau… »
Michel SERRES , « Les 5 sens » , 1985
( page 72 « Voiles »)
( page 72 « Voiles »)
« … La peau est une variété de contingence : en elle, avec elle se touchent le monde et mon corps, le sentant et le senti, elle définit leur bord commun. Contingence veut dire tangence commune : monde et corps se coupent en elle, en elle se caressent. Je n’aime pas dire milieu pour le lieu où mon corps habite, je préfère dire que les choses se mêlent entre elles et que je ne fais pas exception à cela, à je me mélange au monde qui se mélange à moi. La peau intervient entre plusieurs choses du monde et les fait se mêler…. »
Michel SERRES , « Les 5 sens » , 1985
(page 82 « Mélanges, Dévoilement »)
(page 82 « Mélanges, Dévoilement »)
« …L’état des choses s’enchevêtre, mêlé comme un fil, un long câble, un écheveau. Les connexions n’ont pas toujours leur dénouement. Qui démêlera cet embrouillement ? Qu’on imagine le fil du réseau ou le cordon de l’écheveau ou du lacis à plus d’une dimension, qu’on imagine l’entrelacs comme la trace sur un plan de l’état que je décris. L’état des choses se chiffonne, se froisse, replié, parcouru de fronces et de volants, de franges, de mailles , de laçages.
Dévoiler ne consiste point à ôter un obstacle, enlever un décor, écarter une couverture, sous lesquels gît la chose nue, mais à suivre patiemment, avec un respectueux doigté, la disposition délicate des voiles , les zones, les espaces voisins, la profondeur de leur entassement, le talweg de leurs coutures , à les déployer quand il se peut, comme une queue de paon ou une jupe de dentelles.
L’état des choses aurait pour modèle ce milieu ou ce mélange, ou intuitionnable, ou sensible comme un amas de tissus, mille dispositions possibles de voiles.
Sensible à la vue comme une aurore boréale, pour qui se trouve dans les dessous vaporeux, gaufrés, incandescents, drapés, légers, fragiles de cette lueur d’aube ; tangible comme la topologie des surfaces, de leurs événements ou circonstances ; audible comme des vagues, des ondes, mouchoirs de batiste qui flottent dans l’air ; sapide, sans doute, je sens ma langue s’habiller d’un haillon méticuleux, quand je goûte ; l’état des choses est le milieu des sens, mieux, leur mélange. La peau les mélange, voile elle aussi… »
Michel SERRES , « Les 5 sens » , 1985
( page 84 , chap. « Voiles » )
( page 84 , chap. « Voiles » )
« … Tout se rencontre à la contingence, comme si tout portait peau. La contingence est la tangence de deux ou plusieurs variétés, fait voir leur voisinage. L’eau et l’air avoisinent une couche épaisse ou mince d’évaporation, l’air et l’eau se touchent dans un lit de brume. La terre et l’eau s’épousent dans la glaise et dans la boue, se joignent dans un lit de limon. Le front froid et le front chaud glissent l’un sur l’autre sur un matelas de turbulences. Voiles de voisinage, couches, pellicules, membranes, plaques. Nous vivons sur des tapis roulants, à des milliers de mètres sous nos pieds, lents et têtus… »
Michel SERRES , « Les 5 sens » , 1985
( p.82 , « Mélange, Dévoilement »)
( p.82 , « Mélange, Dévoilement »)
« La toile est un analogon, à peine métaphorisé, de la peau. Les peintres sont de la race des scarifiés… »
Jean – Paul Marcheschi « Le livre du sommeil », 2001 (P. 70)
(…)« La peau du livre, c’est la peinture, ce qui tombe de lui, son déchet, ce que la langue omet de dire… »
Jean – Paul Marcheschi « Le livre du sommeil », 2001( p .92)
Penone, "Sculpture de lymphe", Installation, détails et vue d'ensemble.
Biennale de Venise, 2007
Penone, "Sculpture de lymphe", Installation à la Biennale de Venise, 2007
Penone, "Sculpture de lymphe", Installation, détails et vue d'ensemble.
Biennale de Venise, 2007
Penone, "Sculpture de lymphe", Installation à la Biennale de Venise, 2007
…" L'enveloppe est importante, c'est la définition de l'individu…"
Giuseppe Penone " Respirer l'ombre"-1976 ( p.58)
PIERRE
…" Une pierre qui vit les variations de l'humidité du milieu où elle se trouve est une sculpture en plein air…"
Giuseppe Penone " Respirer l'ombre", 1968( p. 21)
( …)…" La conscience et l'intelligence d'une pierre peuvent se deviner à sa capacité de mutation comme matière. Les pierres que nous voyons dans les montagnes sont comme des lambeaux de peau qui partent du corps qui les a engendrés…"
Giuseppe Penone " Respirer l'ombre", - 1977 ( p. 22)
… « J’ai vu la fluidité de la pierre qui bouge comme les vagues de l’océan… »
Giuseppe Penone " Respirer l'ombre",1994 ( p. 142)
SCULPTURE
« L’eau qu’on prend dans la bouche, boire, lever verticalement le liquide horizontal, la recherche de la surface, la répétition d’une forme qui existe déjà, l’idée de la rivière, l’adaptation d’un élément à un autre élément, l’arbre à la pierre, le vivant au mort, le plein au vide, le fluide au solide, la lumière à l’ombre, l’extrême précarité du concept de solide, fluide, dur, mou, positif, négatif, les variations climatiques, les différences de chaleur, tout contribue à brouiller les limites de l’action et de la recherche de la sculpture où le sculpteur, sans forme, prend à chaque fois, d’instant en instant, l’image du dur, du mou, de l’enveloppant, du fluide, du solide… »
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »- 1979 ( p. 105)
« … Retrouver dans la terre les empreintes de pas effacés par la superposition des pas suivants. Creuser dans la mémoire de la boue, faire de la sculpture… »
Giuseppe Penone « Respirer l’ombre »,1978 ( p.128)
7- La technique du moulage en bronze à la cire perdue
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cire_perdue
8 - Bibliographie et autres références :
Catalogue d’exposition :
Giuseppe Penone , Ed Centre Georges Pompidou 2004
Giuseppe Penone, Matrice de Sève, Carnets d’études n°14, Editions Beaux arts de Paris 2009.
Artstudio , L’arte povera
Documents vidéos :
L’art et la manière : Giuseppe Penone , émission Arte
Tide the river Andy Goldworthy
Liens :
http://nascimento.lyceefrancais-brasilia.net/documents/Option%20Arts/arbredesvoyellesPenone.pdf
http://artic.ac-besancon.fr/arts_plastiques/Actualite/spip.php?article153.
http://www.exporevue.com/magazine/fr/penone_beaubourg.html.
http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ens-artepovera/ens-artepovera.htm.
http://www.rfi.fr/actufr/articles/053/article_28405.asp
http://ecrireiciaussi.canalblog.com/archives/2009/11/26/15810296.html
http://www.blog.ereann.com/?p=675.
http://www.liberation.fr/culture/0101187972-penone-enracine-l-arte-povera.
http://florencedemeredieu.blogspot.com/2010/03/giuseppe-penone-la-foret-de-soignes.html.
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